Vers l'est ou dans l'ornière du temps / Verso l'est o nel solco del tempo - Recensione

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Que de textes graves, mélancoliques, tristes et tragiques ! De l'Est évoqué par les « barbelés » de l'histoire, les « bouleaux » de Wajda et les références à la poétesse russe Marina Tsvetaiëva, Emorine nous conduit au plus intime de la violence subie. Sans s'appesantir, il nous donne à lire les séparations, les blessures, les violences de la guerre, à l'Est et ailleurs.

Dans des poèmes assez brefs, en deux sections « Détours » et « Insomnies », le poète grave sa poésie dans le terreau des victimes et les souvenirs âpres.

On sent une proximité avec ces noms qui courent les pages, autant de deuils, on le pressent : Nora, Jacques, d'autres anonymes.

La force de la poésie est sans doute de décaper l'atroce et d'en rendre compte dans la lumière même du poème :

Pieds et poings liés

tu ne peux plus articuler un mot

ton sang coule aussi

sur des lettres d'amour

(p. 48)

Dans l'ornière du temps

règne l'obscurité

les jours ont déteint sur toi

tes vêtements et ta peau sont devenus gris

tes mots se sont échappés dans la nuit

(p. 76)

Il y est question d'amour, de séparation : le passé est lourd à supporter, et les souvenirs laissent d'intimes traces blessantes.

Le talent d'Emorine est de nous livrer une vision de l'histoire proche et tout à la fois inscrite dans la grande histoire et ses fossés tragiques.

Ce livre bilingue, très bien présenté, suggère au lecteur toutes les peines endurées, sans jamais y être démonstratif ou pesant, parfois la tête est trop lourde pour subir et il faut donc la légèreté grave du poème pour alerter l'âme. Ce que le poète fait très bien. Au sang, au rouge répondent les lumières du poème (Philippe Leuckx).